L’étude

Les déserts médicaux, un mal français

Les inégalités face au traitement médical restent un des principaux symptômes de la fragilité territoriale. Pour la France, le défi est de combler ce que l’on appelle les “déserts médicaux”. Ce document présente un étude détaillée de la situation actuelle en France, et argumentera en faveur de MedicHome, la plateforme que nous proposons.

La démographie médicale Française

La population globale de médecins augmente, mais la part de médecins actifs diminue

(Données tirées du 11ème Atlas de la démographie médicale française publiée par le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM), publié le 12/10/2017). 290 974 médecins sont inscrits au tableau de l’Ordre des Médecins au 1er Janvier 2017, ce qui marque un pic par rapport à 2007. Par contre, malgré une augmentation de 15% du nombre de médecins, la part d’actifs réguliers a diminué de 10 points (de 78% à 68%).

Cette cessation d’activité est avant tout le résultat d’une augmentation du nombre de retraités (de 14% à 20% selon le CNOM). Cette déperdition générale de la profession a un impact direct sur les répartitions régionales, car si aujourd’hui 84% des Français ont accès à un médecin généraliste, ce chiffre menace de diminuer dans les années qui viennent.

Cependant, comparée au reste du monde, la France, avec 334 médecins pour 100 000 habitants, se trouve en bonne position. Le seuil inquiétant, fixé par l’OMS, est de 250 médecins pour 100 000 habitants.

Les inégalités territoriales

Cependant, ce taux masque une mauvaise répartition sur le territoire avec des zones où le nombre de médecins baisse de manière drastique : dans celles-ci, les temps d’attentes peuvent être très élevés et beaucoup renoncent aux soins non-urgent voire certains soins urgents. Un désert médical est défini par le ministère de la Santé comme une zone où l’on constate moins de 70% de la moyenne nationale, donc à partir de 233 médecins et moins pour 100 000 habitants. Entre 30% et 60% on parle de zone à « accès difficile/critique aux médecins ».

Les régions ayant une très faible densité de médecins en 2017, selon le CNOM, incluent mais ne se limitent pas à : la Creuse (23), 214 médecins actifs pour 100 000 habitants; la Mayenne (53) et l’Ain (01), 184 médecins actifs pour 100 000 habitants; et l’Eure (27), 176 médecins actifs pour 100 000 habitants.

Cette pénurie varie aussi selon les soins demandés, 5% de la population a grande difficulté d’accès à un généraliste, mais la situation est nettement plus préoccupante en matière de spécialistes: pédiatres, gynécologues et ophtalmologues comptent respectivement pour 19%, 14% et 13% de la population en situation d’accès difficile.

Ces zones de pénurie étant rurales, les distances parcourues par les patients pour avoir accès aux soins adéquats sont donc de plus en plus grandes. L’indicateur d’APL (Accessibilité Potentielle Localisée), calculée par le CNOM pour chaque commune et prenant en compte la distance spatiale, le nombre d’actes annuels effectués et l’âge des habitants, permet de montrer que l’adéquation spatiale entre l’offre et la demande de soins est particulièrement faible dans les régions du Centre, de l’Est, du Nord-Est et du Sud-Ouest.

Cartes des fractures sanitaires pour quelques professions médicales :

Une déperdition en progression

Les région souffrant déjà du manque de médecins ont tendance à continuer d’en perdre. La carte des variations des effectifs de médecins en activité régulière de la CNOM permet de constater que certaines régions rurales Françaises ont perdu entre 19.7% et jusqu’à 70% de leurs effectifs de médecins actifs entre 2007 et 2017.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette déperdition des médecins n’est pas adaptée au rythme des pertes de la population générale. Le rapport de 2017 du CNOM montre que la situation la plus commune, pour les départements Français, est celle d’une hausse de la population, et d’une baisse du nombre de médecins; c’est le cas pour le Loir-et-Cher (41), l’Aveyron (12), la Moselle (57), la Seine-et-Marne (77)… cela montre que cette évolution est reliée à des facteurs d’attractivité autres que le nombre de patients à soigner, facteurs que nous explorerons plus en détail en deuxième partie.

Paris est même le deuxième département à connaître une très forte baisse (-25% en 10 ans). Cela confirme qu’il existe un phénomène de relocalisation des médecins en région - cependant, les région les plus attractives ne sont pas toujours celles en ayant le plus besoin.

Pourquoi ces déserts ruraux ?

Si la baisse du nombre de médecins dans certaines régions n’est pas concomitante à celle de l’évolution générale de la population, elle peut par contre être reliée à d’autres facteurs comme l’état même du système de santé, l’aménagement et l’infrastructure des territoires concernés, et le contexte économique et social.

L’état du système de santé

Les gouvernements essaient depuis longue date de lutter contre les déserts médicaux. La coercition n’a jamais été une piste envisagée, mais plutôt celle du développement d’incitations, notamment financières. Un maximum de jeunes diplômés sont invités à s’installer dans ces zones. Par exemple, la garantie d’un revenu de 4600€, compensé par l’État si non atteint par l’activité est une des mesures phares destinées à faire en sorte que ces personnes franchissent le pas, d’elles mêmes.

• D’autres types de déserts médicaux existent, notamment lorsque l’on s’intéresse à l’accès à des soins de catégorie 1, c’est-à-dire remboursés à 100% par la sécurité sociale, l’on constate ainsi que certaines zones semblant être bien pourvues en médecins spécialisés sont en réalité des zones où les services coûtent très chers et où le « désert médical » est donc une réalité pour de nombreux patients qui renoncent aux soins du fait de leurs prix.

Les médecins libéraux disposent d’une totale liberté en terme de choix de lieu d’exercice et d’affiliation à la sécurité sociale, c’est-à-dire de voir leurs soins remboursés, condition d’une affluence importante.

Les tentatives des gouvernements de réduire cet état de fait n’ont pas été suivi d’effets, constatant même une certaine aggravation de la situation dans certaines zones et spécialités. Les mesures incitatives ARS (Agence Régionale de Santé) n’ont eut pratiquement aucun effet, notamment dans le cas de la médecine générale; les chiffres du CNOM de 2017 montrent que la variation moyenne de France hors zones ARS est de -8%, tandis que la moyenne zones ARS est de -7.1%.

La contrainte n’étant pas une piste envisagée à ce jour, en dépit d’une efficacité constatée en Autriche, Allemagne et Québec, d’autres pistes de restauration de l’attractivité de ces zones doivent être exploitées. La garantie de revenus supérieurs aux zones en offre médicale excédante est déjà garantie, en plus du fait que ces zones sont généralement sujettes à moins de charges (immobilières, fiscales etc). Le problème d’attractivité de résulte pas d’un défaut financier, la collectivité ayant déjà répondu à cette demande.

L’infrastructure territoriale

Le problème central émane du fait que les régions en perte d’activité sont des régions où l’exercice de la profession médicale est difficile. Le manque d’infrastructure, les obligations de déplacements, le manque de garanties rendent le choix simple pour un médecin libéral ayant le choix de s’établir où il le souhaite.

Un médecin doit pouvoir être proche de ses patients, ce qui n’est pas le cas dans les régions du Centre, du Nord, du Nord-Est et du Sud-Ouest. Sept départements comptaient au moins 80% de communes de moins de 500 habitants en 2015, parmi lesquels la Meuse, la Haute-Marne, le Jura, la Haute-Saône, la Lozère le Gers et les Haute-Pyrénées; tous sont situés dans une ceinture traversant la France métropolitaine du Nord-Est au Sud-Ouest. La carte du rapport annuel 2017 du CNOM indique toutes ces régions comme ayant les distances d’accès les plus longues, c’est-à-dire entre 8,0 km et 81,0 km.

Malgré les fusions administratives qui augmentent la taille de ces petites communes, le problème de la distance demeure le même pour les patients comme pour les médecins; un problème qui est aggravé pour les soins d’urgence ou les soins spécialisés.

En parallèle, ce sont dans ces régions-ci que la couverture numérique est la plus déficitaire. Selon cette carte réalisée d’après les données de l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes) et publiées dans le rapport du CNOM de 2017, les régions les moins couvertes numériquement sont également les régions les plus déficitaires en médecins:

(Couverture numérique en France métropolitaine)

Pourtant, les besoins digitaux des professionnels de santé sont important; autant pour continuer à se former que pour rester en contact avec leurs patients. Le CESSIM (Centre d’Etudes Sur les Supports de l’Information Médicale) a réalisé un baromètre en 2016, en partenariat avec Ipsos, montrant que 76% des médecins généralistes utilisent quotidiennement Internet dans le cadre de leurs activités professionnelles (à 95% comme outil d’information, à 55% comme outil de formation occasionnelle).

Facteurs économiques et sociaux, conséquences

Des facteurs extérieurs au monde de la médecine ont également un impact sur la répartition des médecins en France, notamment le vieillissement de la population.

Le vieillissement de la population des médecins pose la question de leur renouvellement dans les zones rurales. La moyenne d’âge nationale en 2016 est de 52 ans, selon un rapport publié en 2016 par la DREES; mais ce vieillissement est plus fortement localisé dans les zones rurales, avec la Creuse (23) étant le département à la moyenne d’âge la plus forte (55,4 ans). La part globale des médecins de plus de 60 ans a triplé, passant de 8% en 1990 à 28% en 2015. Toutefois, selon le CNOM, la part de médecins retraités actifs a augmentée de 1% à 6% entre 2007 et 2017; les médecins travaillent généralement de plus en plus longtemps, et continuent parfois à conseiller même après une cessation officielle d’activité, ce qui ralentit le taux de déperdition, mais ne rassure pas sur l’avenir.

Ce vieillissement de la population des médecins évolue certes en parallèle au vieillissement de la population locale. Cependant, les populations les plus vieilles ont tendance à avoir besoin de plus de soins. La répartition nationale des actes médicaux bénéficiant les personnes entre 60 et 74 ans montre une corrélation entre la consommation de soins des personnes âgées, et les zones géographiques les plus touchées par la déperdition de la population médicale:

(Distribution des actes 64-70 ans)

Un autre facteur montre l’inadéquation de la répartition de la population médicale par rapport aux besoins de la population globale; celui du taux de pauvreté. Selon le CNOM, les zones les plus démunies de médecins sont notamment les zones où la pauvreté est la plus présente; la part de bénéficiaires du RSA dans les régions du Nord, Nord-Est, Centre et Sud-Ouest est entre 58 et 207,3 pour 1000 habitants, supérieure à la la moyenne nationale qui est de 57,7 pour 1000. Ces zones coïncident également avec celles où la part de diabète est la plus élevée.

Ainsi, le manque de médecins a des conséquences potentiellement aggravées dans ces zones où le besoin est le plus fort. L’arrêt de l’activité d’un médecin est d’autant plus grave dans les zones où les trajets sont longs et les besoins élevés; mais ce manque d’attractivité est en même temps une cause du départ de la population médicale.

Pourquoi Medic Home ?

Partant du constat que d’une part le placement arbitraire de médecins sur le territoire est exclu et d’autre part que les nombreuses missions ministérielles ont déjà créé de très puissantes incitations à l’installations en zones sous-médicalisées, nous avons décidé d’entreprendre une démarche originale et prenant à contre-pieds ce qui semblait être la tension irréductible du problème. Les jeunes médecins ne souhaitent pas ou souhaitent moins s’installer dans les zones sous-médicalisées et favorisent les zones urbaines, mieux reliées aux grands réseaux. Si la “coercition” est efficace à l’étranger, il est compréhensible que ce ne soit pas une solution que l’on favorise, tant cette décision reviendrait à nier la liberté individuelle de ces jeunes personnes.

MedicHome propose une plateforme permettant aux médecins de facilement aller exercer dans des zones en très forte demande tout en maintenant leur lieu de vie là où ils le souhaitent. La plateforme permet de mettre en relation la demande de la part des patients qui démontre ainsi l’attrait de ces zones; ensuite, MedicHome facilite et optimise la venue d’un médecin. Un lieu d’exercice, qui peut être le cabinet d’un confrère, des visites à domicile, un lieu dédié en Mairie ou un véhicule médicalisé; une optimisation temporelle et géographique pour le médecin et les patients avec un itinéraire facilitant et maximisant le nombre de consultations, des zones faciles d’accès pour le médecin depuis son lieu de vie, par le train ou autres transports. Ainsi, de nombreux médecins pourraient, à temps plein ou partiel, exercer la médecine dans ces zones, et ainsi participer à la solution d’un problème du quotidien majeur pour des millions de français. Une installation dans ces régions serait ainsi éventuellement préparée.

MedicHome offre une solution pratique aux patients permettant de réduire considérablement les délais voire de leur donner accès à des soins jusqu’alors inexistants. Le partage de leur dossier médical en ligne permettrait un suivi médical maintenu, malgré les problèmes de la distance. Le service téléphonique, composé d’infirmières et d’infirmiers proposé permettrait à ceux ne pouvant pas se déplacer d’avoir accès à un conseil médical professionnel. En adaptant l’exercice médical au besoin des patients plutôt qu’aux disponibilités géographiques du médecin, cette plateforme permettrait de rééquilibrer une situation qui est aujourd’hui caractérisée par l’inégalité territoriale. C’est une solution favorisant les parties et permettant une véritable amélioration du quotidien de milliers de patients.


Interview

Hortense Kopff-Maes, médecin rhumatologue, présidente de l’association des médecins de province (AMP), expose son regard sur la situation actuelle :

Bonjour Madame, merci de bien vouloir nous accorder votre temps. Merci à vous de nous aider à nous attaquer à ce problème majeur ! Ce n’est pas une situation facile, voilà des années que gouvernements et Ordre des Médecins tentent d’améliorer les choses pour les pratiquants comme pour les malades. Pouvez-vous nous donner un exemple concret des difficultés que connaissent les petits villages?

Bonjour à vous et je vous remercie de vous pencher avec intérêt sur ce problème
que connaissent énormément de départements français.
La pire situation pour un petit village est celle du départ de son médecin,
qu’il/elle parte ailleurs ou en retraite - le vieillissement comme le manque
d’attractivité sont les deux facteurs à risque.
Alors, parfois la totalité d’une commune se voit obligée, du jour au lendemain,
de partir à la recherche d’un nouveau médecin.
Situation difficile quand tous ceux des villages environs sont déjà au complet.

Une plateforme comme celle que nous proposons révolutionnerait-elle les pratiques de la médecine?

Je ne pense pas, non. La médecine est une profession traditionnellement
libérale, et donc déjà caractérisée par la liberté des médecins de pratiquer où
ils le souhaitent. Cependant, elle permettrait une plus grande flexibilité dans
l’emploi du temps des médecins en zone rurales, leur proposer des itinéraires
concrets en fonction des besoins, et donc réorganiser, plutôt que
révolutionner, les pratiques de notre profession. Cependant, les choses
changeront la donne pour les petits villages, qui n’auront plus la peur de
perdre leur accès aux soins.

Quelle est selon vous la cause principale du manque d’attractivité de ces régions rurales?

Honnêtement? Les stéréotypes. (Rires). La peur tout à fait logique que peut
avoir un médecin de se retrouver coincé dans lieu peu attractif pour sa
profession. Ce que je dis n’engage que moi, mais je pense que la flexibilité
qu’offre votre idée de plateforme, pour un médecin, serait un avantage, car il
pourrait avoir un certain nombre de garanties, comme celle du nombre de
patients, et une meilleure organisation des déplacements. Bien sûr, les mesures
incitatives de l’état devraient en même temps se concrétiser, car le problème
n’a pas une seule source.

Que pensez-vous des mesures déjà adoptées ? On nous a souvent fait part d’un manque de volonté politique comme raison du problème, qu’en pensez-vous ?

Pour ce qui est des mesures incitatives ARS? Je pense qu’elles risquent surtout
de transformer la tâche des villages cherchant à avoir un médecin en une
compétition au plus offrant. Quant au désintéressement des politiques, j’en
pense que c’est partiellement vrai; le problème est complexe, et l’évolution
des campagnes comme leur vieillissement semble inévitable. Mais il y a
plusieurs façons d’aborder un problème: une simple comparaison avec nos voisins
pourrait l’attester. La « coercition » que les syndicats brandissent comme
ligne rouge dans les négociations est le coeur de la problématique, tout comme
l’est celle de la définition du statut de médecin libéral.

Que voulez-vous dire ?

Mon avis n’engage que moi mais je suis partisane d’une période qui pourrait
aller jusqu’à dix ans de service rendu à l’état, à l’image des étudiants
énarques et polytechniciens, l’investissement que l’on réalise en formant un
médecin est considérable, et son importance au sein d’une communauté, d’un
village, est primordiale. Je ne pense pas que la répartition des praticiens sur
le territoire soit une décision que l’on devrait totalement laisser au médecin,
bien qu’un arbitraire total soit à exclure. J’ajouterai en sus qu’il s’agit
souvent d’une opinion, d’une crainte, exagéré et que, à mon image,
l’installation dans les zones les plus rurales n’est, au quotidien, en rien
différente d’une pratique en ville, avec même une forte dose d’avantages en
terme de proximité avec les patients, de revenus et de qualité de vie.

Vous réclamez une réponse publique à ce problème majeur, que pensez-vous d’une initiative privée, qui plus est émanant d’étudiants ?

Vous avez tout crédit pour moi, surtout étant étudiants, je suis sur que vous
êtes portés par la volonté de créer votre futur, une forme de responsabilité
que ne peuvent avoir que les jeunes gens. En ce qui concerne votre projet je
trouve qu’il apporte une forme de réponse essentielle à tout ceci en faisant
venir les médecins dans les déserts médicaux, qui sont riches de personnes et
de terroirs, de paysages et souvent avec une extrême qualité de vie, surtout
lorsque l’on est médecin. Un projet comme le votre brise le tabou de l’exercice
dans ces zones que beaucoup de jeunes praticiens craignent de manière un peu
irraisonnée. Les tentatives de l’État, très réfléchies mais sont trop
focalisées sur l’aspect financier. L’État ne peut pas proposer de réponses au
reste du problème qui ne soit pas coercitives.